miam-miam 126
07/09/05

le goût de l’orient
[produits modernes - 5]

 

La grenade, surtout sous la forme de mélasse, et le tahina, la crème de sésame, ne sont pas d’un emploi très courant dans la cuisine française. Pourtant certains cuisiniers s’y intéressent et les utilisent quelquefois — je pense à Michel Troisgros, à Pascal Barbot, à Gilles Choukroun — mais ces produits pourraient, sans doute, l’être davantage ou, au moins, donner naissance à des versions peut-être édulcorées mais plus acceptables pour nos palais. La grenade, cependant, a été très appréciée en Europe — et dans la cuisine française, en particulier, jusqu’au XVIIème siècle — et certaines cuisines en conservent la trace, celle de Venise, par exemple. C’est peut-être par ce biais-là, d’ailleurs, que Michel Troisgros a introduit ce fruit dans ses recettes, séduit par son goût acidulé. Il en utilise les grains comme autant d’éclats qui ponctuent de sa saveur fétiche un beurre noisette par exemple. La grenade est présente dans tout le Moyen-Orient. Sans doute originaire de la Perse, elle est présente dans l’Egypte et la Grèce antiques. De Perse, elle s’est répandue dans toutes les directions et, en particulier, donc, dans la région Syro-libanaise, en Turquie ou, comme le note Alan Davidson dans le Penguin companion to Food, jusqu’en Azerbaïdjan d’où elle a gagné la Russie. Dans les cuisines traditionnelles, la grenade, outre sa consommation en tant que fruit, est utilisée pour son jus qui apporte une note fraîche et acidulée à une sauce ou une salade. J’ai ainsi pu goûter récemment chez Liza des goujonnettes de daurade frites servies avec des aubergines tout aussi frites et de la tomate concassée assaisonnée de jus de grenade, justement. L’alliance est très subtile: la grenade vient renforcer l’acidité naturelle de la tomate qui, en cette saison, est toujours bien présente mais perd de sa fraîcheur. Le contrepoint avec le poisson frit était très agréable et beaucoup plus original que l’éternel jus de citron. En fait, le jus de grenade peut être utilisé à la place de celui-ci dans bien des cas. Malgré les affirmations diverses, je ne suis pas certain que le jus de grenade soit facile à trouver. Quoique… un site internet indique une piste qui semble valable, celle des magasins de produits naturels mais je n’ai pas pu vérifier. Il existe cependant un autre produit dérivé de la grenade, accessible, que j’utilise personnellement, c’est la mélasse de grenade (Rabb er’remane en libanais, robb-e anar en persan), beaucoup plus aisé à trouver. En fait il s’agit de grenades d’un type particulier, des grenades “acides”, un peu comme il y a des oranges amères. Ce sirop qui n’est pas sans rappeler certains moûts de raisin concentrés (il est obtenu par réduction à feu doux de jus de grenade) ressemble un peu au vinaigre balsamique et peut, d’ailleurs, être utilisé de la même manière.
Pour ma part je l’utilise avec tous les fruits rouges, dans certaines salades ou, pourquoi pas, comme condiment d’un canard rôti ou d’un foie de veau? En fait, on peut l’utiliser chaque fois que l’on serait tenté d’utiliser du vinaigre balsamique et Dieu sait si l’on a inventé des occasions récemment: on peut l’imaginer ainsi sur un poisson ou sur un fromage. Je l'aime particulièrement dans cette recette de saison de figues rôties “rabb er’remane”:

Pour ma part j’achète la mélasse de grenade Aux Délices d’Orient , une épicerie libanaise située dans le 15ème arrondissement, une vraie caverne d’Ali Baba (ils ont aussi de très beaux fruits et légumes) mais on peut se la procurer sur internet facilement (voir carnet: le site <www.bestoflebanon.com> semble offrir de meilleurs produits mais fonctionne très mal).
L’autre produit dont je voulais parler est donc le t’hiné, tahina, tahini (les différentes dénominations ont cours: la première pour faire plus ethnologique, la dernière plus anglo-saxon … mais toutes induisent la notion de moudre, écraser), la pâte de sésame très utilisée dans la cuisine du Proche-Orient. Le tahina est fabriqué à partir de graines de sésame “complet” (c’est à dire avec l’enveloppe, le son) mises à tremper pendant une journée entière. Au bout de ce temps, les graines sont concassées pour les libérer de cette enveloppe puis mises à tremper cette fois dans une saumure concentrée ce qui permet de séparer le son qui tombe au fond alors que les graines surnagent, permettant de les récupérer. Elles sont alors torréfiées avant d’être moulues. En fait, c’est exactement le processus de fabrication de l’huile si ce n’est que l’on s’arrête avant le pressage pour extraire celle-ci. De la qualité du travail du moulinier dépend ensuite la finesse de la pâte, évidemment, et de la torréfaction, la saveur plus ou moins prononcée de la pâte. Telle quelle , elle entre dans la composition d’une multitude de préparations des différentes cuisines proche-orientales. On pourrait distinguer deux familles: lorsque le tahina sert d’agent de liaison dans une purée et lorsque, détendu avec un liquide, jus de fruit, bouillon, voire simplement de l’eau, il sert de base de sauce. À la première manière se rattachent deux des préparations les plus fameuses du traditionnel mezze libanais, le hommos (bi t’hiné), la purée de pois chiches, et le baba ghannouj, le caviar d’aubergines, mais on peut préparer de telles purées avec les courgettes, les pommes de terre, du chou-fleur et pourquoi pas? des épinards. La seconde donne le tarator, sorte de sauce universelle qui, dans la cuisine libanaise, remplace à la fois notre mayonnaise et la béchamel. Elle accompagne les poissons et des légumes cuits simplement à l’eau (par exemple…) mais aussi les falafels, ces boulettes frites de fèves et de pois chiches. C’est elle aussi qui humecte les pitas.

À ses débuts à L’Astrance, Pascal Barbot avait un second d’origine israelienne, Yaïr, qui lui avait appris les subtilités des cuisines de la rive orientale de la Méditerranée, aussi avait-on vu apparaître à la carte un agneau cuit de différentes façons (épaule confite, côtes rôties, rognons grillés) accompagné de yaourt égoutté au tahina. L’idée est à retenir et peut être employée pour accommoder d’autres laitages. J’imagine assez bien un fromage de brebis frais, un peu friable, type feta, grossiérement émietté et assaisonné de tarator et accompagnant de simples feuilles de romaine ou pour farcir des tomates cerises en guise d’apéritif. Ou bien de très petites courgettes “blanches” à peine cuites, voire crues et détaillées en lamelles, le goût “de noisette” du sésame se mariant bien avec la courgette et le fromage lui allant “naturellement” (voir encore Pascal Barbot et sa galette de courgettes à la feta).
Pour finir, le tahina est l’ingrédient de base de la célèbre confiserie de toute la Méditerranée orientale, le halva. En fait, il s’agit donc de pâte de sésame travaillée avec un sirop de sucre et à laquelle on ajoute, ensuite, des noix, des pistaches, voire rien du tout! En feuilletant le nouveau Age Good Food Guide, le guide des restaurants de Melbourne que l’on vient de m’apporter, j’ai découvert que Geoff Malhouf, l’un des chefs en pointe de cette ville qui fait une adaptation de cette cuisine Moyen-Orientale à une certaine sauce occidentale, propose en guise de dessert une crème glacée à l’halva. Cela donne envie d’essayer. De nouvelles pistes s’ouvrent à nous!

 

 

©Les Aventuriers du Goût